Faites la rencontre du chef pâtissier
Philippe Conticini

À l’approche des fêtes de Noël, Philippe Conticini se prête au jeu de notre interview chocolatée et revient sur son attachement aux célébrations de fin d’année, du goût de Noël ainsi que sur l’inspiration de la création de ses bûches.

« Plus qu’un goût, il s’agit vraiment selon moi de retrouver un plaisir, une réminiscence du passé… »

◆ Que vous inspirent les fêtes de Noël ? ◆

J’ai toujours cherché à être très créatif en termes de goûts, même s’il m’a fallu admettre qu’être avant-gardiste n’était pas forcément une bonne chose ; c’est parfois faire les choses trop tôt. Toutefois, à Noël, pour des raisons précises, j’ai besoin de retrouver et de me retrouver dans des goûts extrêmement classiques, comme celui du chapon farci aux marrons, du saumon, des huitres, du foie gras (bien que de plus en plus sensible à la souffrance animale, je me retrouve face à un dilemme) et de trois/quatre bûches. En temps normal, nous sommes entre 12 et 15 à table. Ça n’a pas toujours été le cas ; mes parents travaillant en permanence, nous ne faisions jamais de repas de Noël. C’est quelque chose qui m’a toujours beaucoup manqué et une tradition que j’ai tenu à installer avec ma femme dans ma propre famille.

◆ Est-ce qu’on a « le droit » d’être avant-gardiste à Noël ? ◆

Bien sûr, quelle question ! Chacun apporte dans les créations de Noël ce qu’il a envie d’y trouver. On peut très bien avoir envie de tradition comme de modernité ; je pense que cela dépend de notre identité. Peut-être aussi de notre enfance ou d’une tradition religieuse très marquée, avec des plats et desserts très précis. Ceci n’étant pas mon cas, je peux laisser libre-cours à ma créativité.

◆ Comment se manifeste votre attachement à la tradition de Noël ? ◆

Je travaille souvent le chocolat et la vanille, régulièrement le marron mais pas cette année parce que je me suis rendu compte que les gens en étaient moins demandeurs. Je travaille sur une rencontre du classicisme avec la modernité, sous couvert que cela reste toujours très gourmand. Pour que ça fonctionne, il faut que je me dise « hmmm, c’est bon ». Nous avons donc imaginé une bûche très contemporaine que l’on trouvera exclusivement aux Galeries Lafayette : elle est composée d’un biscuit coco, d’un croustillant duja amande, d’une compotée d’ananas relevée au gingembre et d’une mousse de noix de coco grillées. 

Notre Bûche Jasmin Cassis se révèle également moderne mais très gourmande, avec son biscuit financier noisette, son croustillant cassonnade, sa compotée de cassis et sa mousse jasmin. C’est vraiment important la gourmandise pour moi, au sens propre du terme. Elle sera probablement plus évidente avec le chocolat de notre Bûche Chocolat Saint Martin mais elle l’est tout autant avec les agrumes de notre Bûche Yuzu Kumquat, avec un biscuit financier amandes très dense (comme un biscuit financier), un croustillant cassonnade, une compotée de kumquat, un crémeux yuzu, une mousse au chocolat blanc caramélisée et un glaçage chocolat blanc caramélisé par nos soins.

Photos : 1. Bûche Jasmin Cassis de Philippe Conticini ; 2. Bûche Chocolat Saint Martin de Philippe Conticini ; 3. Bûche Yuzu Kumquat de Philippe Conticini

◆ Noël doit-il forcément avoir un goût de chocolat ? ◆

Je vais vous dire oui parce qu’il y a tant de personnes qui ont envie de chocolat à Noël, mais pas seulement. Ce doit être avant tout une explosion de plaisir et si possible, d’un plaisir que l’on a déjà ressenti petit. Chacun pourra le retrouver soit dans le chocolat, les marrons, soit dans les fruits… Plus qu’un goût, il s’agit vraiment selon moi de retrouver un plaisir, une réminiscence du passé. Un souvenir de plaisir intense, comme j’ai pu le connaître moi avec le chapon aux marrons.
J’aime l’idée de réveiller ce souvenir par l’affect plus que par les papilles. La compréhension du goût et des mécanisme du plaisir est fondamentale ; ce n’est pas parce que vous allez mettre du chocolat ou du praliné que ça va être bon. Ce le sera si l’on est capable de ressentir, de s’appuyer sur une sensibilité exacerbée et de la mettre dans ce que l’on fait.

Pour toucher les gens, il faut donner de la personnalité aux goûts, avec quelque chose de très personnel. Pour qu’un plat ou un gâteau me plaise, il faut que je sente dans ce que je mange, la sensibilité de la personne qui l’a préparé. Plus que le produit, c’est la personne qui l’a fait qui va me toucher. Évidemment que dans ma pâtisserie j’utilise de bons produits mais je pense pouvoir bouleverser vos papilles même avec des produits moyens, en leur donnant une vie. Il faut savoir raconter une belle histoire mais avec du fond. Il faut qu’elle vienne de quelque part sinon ça se voit. On peut être un excellent technicien sans pour autant déclencher une quelconque émotion. Ça ne suffit pas de faire les choses avec amour, il faut y mettre toute sa sensibilité.

Ça fait 36 ans que je travaille sur les mécanismes du plaisir et du goût, une dizaine d’années sur la matière et la densité. Je vais très loin dans ma réflexion pour la mettre au service de l’émotion que je veux communiquer dans mes gâteaux. Toute cette analyse passe par la tête mais quand je fais, quand je mange, ça doit passer par le cœur.

◆ C’est d’autant plus important à Noël ? ◆

Oh oui ! C’est la fête de famille par excellence, avec la sublime naïveté des enfants que l’on devrait toujours garder en soi ! Il faut que tout le monde soit heureux, qu’on ressente un plaisir intense ensemble. C’est fondamental de soigner cette magie de Noël. Est-ce que je vais réussir à toucher tout le monde ? Probablement pas mais je fais tout pour.

C’est très important pour moi. Dans ces créations, il y a le féminin et le masculin, le goût et le plaisir, la sensation et l’émotion. Du moins je l’espère ainsi. La bûche au yuzu déclenche une sensation prégnante avec cette note de yuzu qui vient relever le kumquat et qui reste longtemps en bouche. C’est pour moi la manifestation d’un gâteau équilibré. Si le goût retombe tout de suite après une sensation fulgurante de plaisir, si l’on ne garde qu’une impression de sucre plutôt que la longue résonance d’un goût délicieux, ça n’est pas un gâteau équilibré. Là, je viens de sortir avec mes équipes un gâteau Cirrus, agrumes et CBD, il est remarquable d’équilibre. Il est bon et provoque une telle émotion !

Photos : Bûche Yuzu Kumquat

◆ Le goût de Noël, c’est donc de l’émotion ? ◆

Il faudrait ouvrir ses yeux sur le monde en restant l’enfant que l’on a été. Joël Robuchon disait : « un bon dessert, c’est d’abord un dessert qui plaît aux enfants ». Je suis d’accord avec lui. D’autant plus pendant cette période de fête ! C’est tellement important pour moi Noël, justement parce que je ne l’ai pas vécu enfant. Grâce à la magie de Noël, je reste un grand gamin. En grandissant, j’ai coupé le cordon avec mes parents mais pas avec l’enfant que j’étais. Surtout pas ! On est l’homme qu’on est par notre vécu mais aussi par l’enfant qu’on a été. Et ça fait de moi le pâtissier que je suis aujourd’hui avec ce côté « Ratatouille » que je cultive. Au-delà de faire bon, il y a cette difficulté à toucher l’affect. Le goût, c’est personnel mais l’harmonie, c’est universel. Comme le goût de Noël.

2022-03-29T10:53:53+02:00 21 décembre 2020|Parlez-vous chocolat ?|