Les artistes du chocolat

Quelle est la différence entre un artiste et un artisan ?

Un point de vue pratique ferait le distinguo entre le beau et l’utile, le consommable et le contemplatif. Si l’artisan chocolatier s’illustre par l’authenticité d’un savoir-faire manuel au service du bon, il se révèle artiste par sa quête du beau. Depuis 25 ans, le Salon du Chocolat s’applique à donner la plus belle des vitrines aux œuvres imaginées par ses exposants. Qu’il s’agisse de magnifier une robe pour le célèbre défilé ou de rendre hommage aux monuments parisiens, les artistes du chocolat ne tarissent jamais de créativité pour donner vie à cette matière brute autorisant toutes les audaces.

Ces architectes du goût que sont Fabrice Gillotte, Patrick Roger, Amaury Guichon, Jean-Luc Decluzeau, Maëlig Georgelin, et autres Nicolas Bernardé se sont révélés sculpteurs de génie pour le plaisir des yeux. Une prouesse gourmande sur laquelle certains ont accepté de nous confier leurs petits secrets.

Savoureusement inspiré par son père pâtissier, Jean-Luc Decluzeau a rapidement eu envie de se surpasser, pour être à la hauteur de cet homme qu’il admirait tant.

Armé de son CAP à 17 ans, le jeune chocolatier limourien se lance dans les concours professionnels et met en exergue ses talents d’artiste.

« Enfant, je me rêvais dessinateur maquettiste » confie Jean-Luc Decluzeau. « J’étais fasciné par l’idée de construire mais peu attiré par de longues études en dessin industriel, j’ai choisi une autre voie que je ne regrette absolument pas : grâce au chocolat, j’ai pu combiner mes deux passions. »

Ainsi en 1989, pour célébrer le Bicentenaire de la Révolution, il présente une sculpture en chocolat de 5m40 qui fera le tour de France. « Je n’oublierai jamais quand mes parents sont venus à Bourges pour voir mon « œuvre d’art » ; je sais qu’ils ne doutaient pas de mes capacités mais j’ai été très ému de voir la fierté dans les yeux de mon père ». C’est aujourd’hui dans les yeux des passionnés de cacao que l’artisan brille avec panache, s’illustrant depuis 25 ans au Salon du Chocolat avec des pièces monumentales.

Jean-Luc Decluzeau prend un plaisir particulier à reproduire la maestria des monuments parisiens : les visiteurs de la porte de Versailles se souviennent encore d’une Notre-Dame de Paris chocolatée, œuvre magistrale de 6m de long ! Mais c’est surtout la Tour Eiffel qui a les faveurs de l’architecte du chocolat : « c’est vrai que je suis assez admiratif de ce monument et je me devais de la reproduire à l’identique. Elle a sollicité 500 heures de travail là où d’autres pièces en ont, en règle générale, nécessité 300. Je me documente beaucoup pour être au plus près de la réalité et le chocolat permet d’aller vraiment très loin dans la création. Quand on maîtrise cette matière, on peut tout faire. Je suis d’ailleurs assez bluffé par tout ce que peuvent faire les jeunes aujourd’hui ! »

C’est probablement cette même audace qui séduit les quelques 3,3 millions d’abonnés du compte Instagram d’Amaury Guichon.

Révélé en 2013 dans l’émission Qui sera le prochain grand pâtissier ? sur France 2, le jeune Franco-Suisse a largement répondu à la question. Ce prodige inspiré a en effet rapidement gravi les échelons pour devenir une star de la gastronomie sucrée, adoubée par des fans de sa maestria dans le monde entier.

À Las Vegas où il est installé depuis plusieurs années, sa Pastry Academy dispense sa vision créative de desserts féériques. Délicieusement inspiré par le chocolat depuis son adolescence, il reconnaît se pencher d’abord sur le visuel avant le goût et les textures, pour offrir des sculptures d’une incroyable précision.
« Sans jamais abandonner le principe essentiel du goût, j’ai voulu fusionner le French Taste et le look US », explique-t-il*.

* https://www.my-vb.com/fra/a-propos/actualites/amaury-guichon-patissier-francais-a-las-vegas

Parce que le chocolat autorise toutes les fantaisies, nombreux sont les artistes du goût à se laisser emporter par leur créativité.

Premier chocolatier à avoir été consacré MOF, Fabrice Gillotte a été parmi les premiers à oser aller là où les autres ne s’étaient jamais aventurés.

Inventeur de génie de gelées et autres gourmandises sucrées, « le Steve Jobs de la chocolaterie » s’applique à rester dans le Top 3 des meilleurs chocolatiers au monde, porté par un cerveau qui tourne à mille à l’heure. Ce fils de pâtissier se destinait au design et l’architecture avant de mettre son talent au service de nos papilles…et de ses vitrines !

Le raffinement de ses sculptures fait à chaque saison la joie des Dijonnais, avec par exemple un bilboquet d’1m95 agrémenté de lutins, un éléphant équilibriste d’1m20, une famille de 14 pingouins ou un binôme de pirates… Créatif visionnaire et chocolatier d’exception, Fabrice Gillotte peut s’enorgueillir d’avoir été 7 années durant lauréat des Awards du Chocolat. Certainement une vraie source d’inspiration pour la jeune génération toujours plus audacieuse.

Quand Maëlig Georgelin s’amuse avec des casseroles dès l’âge de 2 ans, il s’imagine déjà pâtissier.

Après une formation auprès du MOF Georges Larnicol puis une spécialisation en chocolat avec Henri Le Roux, le jeune Breton part nourrir son palais, sa technique et son imaginaire.

De retour dans le Morbihan, il ouvre sa propre boutique « Au Petit Prince » – traduction de son prénom en breton – et laisse libre cours à ses inspirations. Sa belle créativité a fait sensation au dernier salon du Chocolat où avec ses équipes, il a présenté un sublime rhinocéros en chocolat de 40kg. « C’est un travail artistique qui dépasse la pâtisserie » explique Maëlig. « L’école de l’excellence m’a inculqué ce besoin de faire aussi beau que bon. L’avantage du chocolat c’est d’être une matière incroyable, sans limite : elle peut être fondue ou solide, mate ou brillante ou grattée… Présentant des couleurs différentes, le chocolat peut être modelé, sculpté, moulé, cassé, râpé… En plus de sa gourmandise, le chocolat s’avère être un support artistique fabuleux ! »

Mais aussi très frustrant quand il n’est pas destiné à la dégustation comme dans ces grandes sculptures qui suscitent l’admiration et la convoitise. C’est tellement beau qu’on en mangerait !

Une frustration également pour l’artiste qui sait son œuvre vouée à disparaître. « Si je suis frustré d’avoir vu des pièces détruites, je sais que d’autres sont encore visibles pour témoigner de mon travail » confirme Jean-Luc Decluzeau. « Je me réjouis d’avoir des sculptures encore visibles notamment au Musée du chocolat à Paris (avec la Tour Eiffel et l’Arc de Triomphe) ou au musée de Colmar où une belle vitrine a été pensée pour que ma Statue de la Liberté y perdure. »

Une fierté de voir durer son travail, partagée par le sculpteur de choc’, Patrick Roger.

Le Meilleur Ouvrier de France a en effet trouvé la solution pour immortaliser les créations dont il agrémente sa vitrine parisienne : il les fait mouler en bronze ou aluminium !

« Une cliente m’a emmené à la Fonderie de Coubertin ; le fait de passer à l’étape du bronze allait me permettre de pérenniser mon travail. Le chocolat a toutes les contraintes du monde ! Ça fond, ça peut se manger… Et cette cliente m’a fait comprendre que je pouvais figer mon travail dans le temps. »** Et de poursuivre : « Rodin travaillait la terre, moi c’est le chocolat ».

Si l’artisan évoque le sculpteur de Meudon, c’est parce qu’il lui a rendu hommage lors de la réouverture de son musée éponyme en 2015, notamment avec une statue de Balzac en chocolat de 3,87m ! Artiste prolixe, cet orfèvre du cacao esquisse ses idées dans un carnet de croquis avant de s’amuser à les réaliser avec une matière qui n’a plus de secrets pour lui. Fervent défenseur de l’environnement et des animaux, cet autodidacte génial rêve d’être exposé au Centre Pompidou ou à la fondation Vuitton. Autant de musée où il aurait largement sa place.

** https://www.beauxarts.com/grand-format/patrick-roger-sculpteur-de-choc/x

Comme l’Ours blanc de François Pompon qui trône fièrement au musée d’Orsay. Déclinée dans une version entièrement chocolatée par Nicolas Bernardé, l’œuvre a beaucoup fait parler d’elle en 2019.

D’abord présentée au Grand Palais puis porte de Versailles pour célébrer les 25 ans du Salon du Chocolat, la statue a traversé les continents. « C’est magique le chocolat », s’émerveille encore le MOF. « Et je dois cette magie à Olivier Bajard qui m’a « obligé » à me dépasser lors d’une démonstration à Las Vegas en 2002. Très incertain avec le chocolat, j’avais sollicité une épreuve en sucre. L’insistance d’Olivier a été pour moi un formidable pied à l’étrier, donnant beaucoup d’attrait à une matière qui me faisait peur. »

Désormais grand partisan de cet art éphémère, Nicolas Bernardé a donc relevé le pari un peu fou de reproduire le célèbre Ours Pompon en chocolat. Accompagné par l’atelier Prométhée, mouleur d’art depuis plus de 20 ans, le pâtissier au col tricolore s’est appliqué à sculpter une œuvre la plus respectueuse de son illustre modèle en pierre : 2m50 de long, 1m35 de haut, 80cm de large et 200 kg de chocolat blanc !

« Ça a été un travail de fous mais ça en valait la peine ! Quand nos partenaires japonais l’ont découvert, ils ont tenu à le faire venir au Japon. Quand je suis arrivé après lui, je l’ai trouvé au frigo ! Un endroit logique pour un ours polaire mais pas en chocolat blanc : il m’a fallu travailler dessus pendant deux jours pour réparer la casse. Quand j’ai passé le pistolet à chocolat en plein milieu des grands magasins, l’alarme incendie s’est déclenchée à cause du nuage de poussière ! On a failli faire évacuer tout l’immeuble : quelle épopée ! »

Chacun de ces artistes pourrait confier des tonnes d’anecdotes autour de ses créations pour faire vivre encore la magie de cette matière fabuleuse qu’est le chocolat. Mais c’est aussi son caractère éphémère qui lui donne toute sa poésie…

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#3 → Le Salon du Chocolat aime : une recette de @CakementBon

2024-04-02T11:40:14+02:00 23 avril 2021|A la une, Parlez-vous chocolat ?|