Frédéric Madelaine, fondateur de la maison Le Pommier nous raconte un Japon où son savoir-faire a fleuri à l’ombre des cerisiers

De retour à Tokyo après quelques jours en France pour venir rendre un dernier hommage à son mentor, le chef triplement étoilé Marc Meneau disparu en décembre, Frédéric Madelaine revient sur son parcours au pays du Soleil-levant.

En pleine préparation du Salon de Chocolat de Tokyo (du 20 janvier au 3 février), le pâtissier et chocolatier évoque sa relation privilégiée avec les Japonais, amoureux de son travail depuis 22 ans.

◆ D’abord, toutes nos condoléances pour la disparition de votre mentor, Marc Meneau. ◆

C’est un personnage très important de ma vie qui s’en est allé : un père spirituel qui m’a beaucoup apporté et un maître professionnel avec lequel j’ai pris énormément de plaisir à travailler pendant 7 ans. Autodidacte inspiré, il a été très inspirant pour moi. Cela aurait pu être une collaboration beaucoup plus longue s’il ne m’avait pas encouragé et aidé à prendre mon envol. Nous avons parcouru le monde ensemble dans le cadre de semaines gastronomiques. C’est lui qui m’a emmené la première fois au Japon : invités par Jacques Chirac alors maire de Paris, nous devions préparer deux repas dans le cadre du 10ème anniversaire de jumelage entre les deux capitales française et nippone. Nous y sommes retournés deux fois par la suite.

◆ Qu’est-ce qui vous a amené à vous y installer en 1999 ? ◆

C’est Marc Meneau qui en a été l’instigateur, c’est dire la belle connivence que nous avions. Un jour après le service, il m’avait convoqué dans son bureau pour évoquer mes projets d’avenir. Il m’avait alors encouragé à le quitter pour me remettre dans le bain de la pâtisserie en vue d’ouvrir mon propre établissement. Il préférait me voir grandir plutôt que de me garder égoïstement à ses côtés. Quel beau service il m’a rendu ! Après une courte prospection, j’ai été séduit par la maison Dalloyau qui était encore une maison familiale à l’époque. Sa présidente m’avait proposé de les rejoindre avec l’objectif d’une installation en Corée. Durant ma formation à Paris qui devait durer deux ans, un poste au Japon s’est libéré et j’ai postulé pour le décrocher.

◆ Qu’est-ce qui a motivé ce changement d’objectif ? ◆

Je nous trouve beaucoup de similitudes culturelles avec le Japon, parmi lesquelles le goût pour le raffinement : les Japonais aiment bien manger, bien s’habiller. Au pays du soleil-levant, la France, comme l’Italie, bénéficie d’un rayonnement pour tout ce qui touche à l’art de vivre : gastronomie, vin, cosmétiques, mode, vaisselle, arts de la table… Je m’y sentais à ma place et après 22 ans sur place, je vois que les Japonais sont toujours aussi amateurs de la French Touch.

◆ Quand vous dites que les Japonais aiment bien manger, est-ce qu’il ne s’agirait pas plutôt de dire qu’ils aiment manger bien ? ◆

C’est exactement ça oui, la qualité est primordiale ici. Personnellement, je n’ai jamais mal mangé au Japon ; n’importe quel petit restaurant propose une bonne cuisine. J’aime ce parti pris de l’excellence dans laquelle je retrouve l’ADN de mes années passées dans une brigade étoilée. Toujours ce souci de mettre en œuvre tous les savoir-faire.

◆ En parlant de savoir-faire, formé à la « vieille école », vous combinez tous les talents récompensés par le CAP Pâtisserie étant également chocolatier, confiseur et glacier. ◆

J’ai commencé à travailler à 14 ans et à l’époque le CAP regroupait toutes ces catégories. On touchait aussi un peu à la viennoiserie. D’ailleurs on me reproche parfois de vouloir faire trop de choses mais c’est comme ça que j’ai appris mon métier. J’ai envie d’en illustrer toutes les possibilités et ma formation me permet de le faire.

◆  Quel écho donnez-vous au chocolat dans votre travail ? ◆

Au Japon, le chocolat est consommé de manière épisodique, avec des temps forts bien déterminés. Il faut donc s’y adapter pour répondre à une demande ponctuelle à Noël, pendant le Salon du Chocolat fin janvier, à la Saint-Valentin suivie du White Day, encore un peu en avril puis cela s’arrête en mai avec les beaux jours. Nous les artisans français avons la chance d’être bien implantés ici, avec de grandes références parmi lesquels Jean-Paul Hévin qui a contribué à faire venir le Salon du Chocolat au Japon en 2000. Il fait figure de pionnier et bénéficie depuis d’une importante fréquentation de ses très belles boutiques, avec d’excellents produits que tout le monde adore, moi le premier. D’autres chocolatiers ont su trouver leur place ici, parmi lesquels quelques industriels mais la plupart restent des artisans.

◆ Est-ce le reflet d’une attente particulière des Japonais ? ◆

Ils aiment en effet se faire plaisir avec de la qualité, comme je le disais plus haut, en s’appuyant sur un nom. Ils vont donc aller vers le chocolat d’un artisan reconnu. Philippe Bernachon ou Philippe Bel par exemple, n’ayant pas de point de vente ici, rencontrent un énorme succès quand ils viennent sur le Salon du Chocolat local. Les acheteurs se précipitent sur leurs stands, déjà parce que ce sont des chocolats de grande qualité, les deux Philippe fabriquant eux-mêmes leurs couvertures et ensuite parce que ces deux fleurons tricolores bénéficient d’une grande aura au Japon

Les amateurs de chocolat nippons ne regardent pas trop à la dépense, tant que le prix n’a pas été trop majoré par les importateurs et sont très fidèles. En 12 ans de présence sur le Salon de Tokyo, j’ai lancé deux produits que sont le camembert au chocolat et la pomme d’amour au chocolat : malgré mes craintes de voir l’enthousiasme autour de ces innovations retomber, les ventes augmentent chaque année, et notamment grâce aux « repeaters » qui après l’avoir acheté une première, reviennent l’année suivante. Ils en prennent alors deux pour en offrir un.

◆ Vers quel chocolat va la préférence des Japonais ? ◆

Les Japonais aiment plutôt le chocolat au lait. On voit quand même la tendance évoluer avec les chefs qui proposent de plus en plus de gammes de chocolats noirs, avec différents crus et pourcentages de cacao. Je dirai que sur du chocolat de gamme moyenne vendu en supermarché, le chocolat au lait est le plus consommé ; pour le chocolat artisanal haut de gamme, l’orientation va plus sur le noir, avec notamment un goût prononcé pour les mendiants (chocolats aux fruits secs) très appréciés ici et pour les tablettes avec inclusions.

◆ Avez-vous testé votre camembert au chocolat auprès des Français ? ◆

Il faudrait que je l’exporte en effet ! J’ai déjà eu le plaisir de recevoir des éloges de mes collègues chocolatiers, ce qui est encourageant. Il me faudrait ouvrir une boutique en France ou venir sur le Salon du Chocolat de Paris. C’est un pur produit français made in Japan, on peut s’en amuser : il est préparé avec un vrai camembert de ma Normandie. Je travaille beaucoup sur la symbolique des ingrédients. C’est d’autant plus apprécié ici que les Japonais aiment qu’on leur raconte une histoire.

Je ne cherche pas tant à faire du marketing qu’à mettre en avant tout ce qui m’a amené à faire ce métier, les raisons de ma créativité. J’ai besoin de donner du sens à ce que je propose ; c’est pour moi un signe de respect pour mes clients. J’aime beaucoup aller à leur rencontre dans la boutique, pour échanger avec eux. Je pense que si l’on est sincère, fidèle à ses valeurs, les clients le ressentent. On ne peut pas tromper les gens longtemps si l’on n’est pas authentique dans sa démarche, dans son travail. Ceux qui ne cherchent que le profit sont rapidement identifiés. Partager sa passion est un langage universel.

◆ Vous avez besoin de donner du sens à ce que vous faites ? ◆

C’est vrai que je ne fais rien par hasard. Quand j’ai ouvert mes boutiques, j’ai fait venir par cargo des tomettes hexagonales comme on en trouve en Normandie : cela permettait un double clin d’œil à mon pays et ma région. Mon gâteau signature, le Pommier a lui aussi une forme hexagonale. J’aime surtout illustrer mon identité normande dans le choix de mes ingrédients : les pommes (bien sûr), le calvados… Bien que ce soit très compliqué d’importer du beurre français, à moins d’en multiplier le prix par trois. Les produits laitiers pourraient bientôt bénéficier de nouveaux accords sur les taxes exorbitantes dont ils font l’objet.

◆ Vous vous défendez de faire un chocolat à la japonaise estimant que ce n’est pas ce qu’on attend de vous.
Votre camembert au chocolat vous donne raison ? ◆

Vous ne verrez pas dans mes produits des ingrédients tels que la pâte d’azuki (à base d’haricots rouges – ndlr) ou du matcha. J’ai pu éventuellement faire un clin d’œil à la gastronomie locale comme avec ma brochette de dangos au chocolat, glissant une petite boule de riz à l’intérieur de trois ganaches différentes, mais je ne pense pas que les Japonais viennent chez un artisan français pour ce genre d’initiative. Leurs pâtissiers font ça très bien. Autant rester dans notre champ d’expertise et laisser parler notre savoir-faire traditionnel. D’autant plus qu’il est très apprécié ici : les Japonais sont assez conservateurs pour ce qui est du goût et aiment l’authenticité de nos recettes et donc de nos ingrédients. Beaucoup de pâtissiers japonais se consacrent entièrement à la pâtisserie française avec beaucoup de maîtrise et de talent. Heureusement d’ailleurs qu’ils ne peuvent pas concourir au titre de Meilleur Ouvrier de France parce qu’on aurait du souci à se faire ! Vous les voyez d’ailleurs de plus en plus sur le Salon du Chocolat à Paris. Comme les clients japonais qui font le déplacement en France spécialement pour cet événement !

◆ Comment s’annonce le prochain Salon du Chocolat de Tokyo ? ◆

On ne sait pas trop à quoi s’attendre en termes de fréquentation alors on reste prudents. Moi qui propose chaque année une création ponctuelle, j’ai choisi de faire simple pour cette édition 2021 ; j’ai fait des muscadines à base de praliné noisettes, amandes, zeste d’orange et calvados. Nous avons quand même l’opportunité de faire des choses assez ludiques pour une clientèle très friande de notre culture. C’est assez impressionnant de voir la passion qu’ont les Japonais pour la culture chocolat : si le Salon de Tokyo dure 10 jours, vous allez voir des clients venir tous les jours. Il y a un tel engouement, une telle fidélité. Pendant le Salon du chocolat, nous avons également l’opportunité de mettre en vente deux créations sur le site internet d’Isetan : les 200 produits de nos deux références sont déjà épuisés ! C’est plutôt prometteur !

◆ Les Japonais sont-ils également des pâtissiers amateurs ? ◆

Oui, tout à fait ! Comme les Français, ils sont capables de se faire des après-midi à cuisiner le chocolat pour faire des gâteaux en suivant les recettes de leurs pâtissiers préférés. J’ai une cliente qui me sollicite régulièrement pour avoir soit mon avis, soit des conseils. Je suis assez impressionné par la qualité de ses créations qui témoignent d’un vrai équipement et d’une vraie précision. C’est très japonais cette application minutieuse, avec ce besoin d’être très précis. Ils peuvent même vous coller avec leur question tant ils veulent connaître les moindres détails d’une recette, comme le genre de crème que vous avez utilisée, etc.
Deux ans après mon arrivée au Japon, lors d’un événement avec une exposition assez énorme de matériel pour pâtissiers et boulangers, un concours réunissait plusieurs équipes locales pour déterminer laquelle irait disputer la Coupe du Monde de Boulangerie à Paris l’année suivante : l’équipe qui s’est qualifiée a remporté le titre mondial. Dois-je rappeler que nous ne sommes pas vraiment dans le pays du pain au Japon ?

◆ Ce goût de l’excellence, ce sens aigu de l’exigence vous oblige-t-il à être meilleur ? ◆

(Rires) J’essaie oui, en cherchant à m’améliorer chaque jour. J’ai toujours gardé la même soif d’apprendre. S’il est nécessaire de s’appuyer sur nos acquis, il ne faut pas se reposer dessus. Je dois aussi ce besoin de « cogiter » et de toujours essayer de nouvelles choses à Marc Meneau : le fait de travailler dans la restauration vous oblige à composer avec des produits parfois très éloignés de votre univers mais vous autorise aussi de créer à la minute. En pâtisserie de cuisine, vous osez faire plus de choses qu’en boutique, où vos créations doivent parfois rester en vitrine toute la journée. Marc Meneau s’inspirait de la lecture de ses 3000 livres dont des ouvrages du XVIIIème siècle, pour nous lancer ensuite sur des idées de recette. J’en ai gardé un goût pour la recherche de nouvelles choses, d’un peu d’inattendu. Et l’exigence de ma clientèle est en effet un moteur pour me renouveler.

2024-04-02T14:57:22+02:00 19 janvier 2021|Destination Cacao|