Victoire Finaz, la chocologue

Issue d’une famille de chocolatiers lyonnais et croqueuse passionnée depuis son plus jeune âge, Victoire Finaz a grandi avec une cuillère en chocolat dans la bouche. Dès ses 8 ans, elle apprend à cuisiner avec passion des desserts chocolatés auprès de sa grand-mère, et fait le tour des meilleurs chocolatiers avec son père. Elle était surnommée « Miss Chocolat ».

Depuis, la passion de Victoire pour le chocolat n’a cessé de la rattraper. Alors, qu’elle réalise une formation de psychologie, elle écrit une thèse sur l’Expertise en chocolat : dégustation et évaluation sensorielle, en 2006. Grâce à ses recherches, elle enrichit rapidement ses connaissances sur le chocolat et se forme aux méthodes de dégustation et au vocabulaire technique, aux côtés des plus grands chocolatiers parisiens qui participent volontiers à son étude.

Puis, elle décide de réaliser un master spécialisé en marketing à HEC, avant de partir voyager dans les plantations de cacao en Bolivie, au Mexique et au Guatemala. De retour des pays producteurs, elle se spécialise en participant à un stage de formation à la haute pâtisserie à l’école Ferrandi, aux côtés de Pierre Hermé.

À la suite de ces expériences gourmandes,
Victoire invente son métier et devient alors chocologue, un métier dont elle nous parle ici.

À quoi correspond le métier de chocologue ? ◆

Dans mon métier, je partage ma passion pour le chocolat en essayant d’apporter un peu de bien-être aux amateurs de ce produit exceptionnel. Je suis donc amenée à initier à la dégustation, des particuliers comme des professionnels : pendant mes sessions, j’invite les participants à se recentrer sur leurs sens en les guidant dans la dégustation de produits chocolatés assez différents. Il s’agit de développer leur goût, stimuler leurs papilles pour identifier les arômes et pouvoir verbaliser leur ressenti. Je m’appuie donc sur les quatre piliers de l’expertise : la concentration, la stimulation des 5 sens dans un ordre très précis, la stimulation de la mémoire (pour reconnaître un goût en ravivant un souvenir) et le vocabulaire. Il est essentiel d’être capable de restituer des sensations en mettant dessus les bons mots : une texture sera-t-elle granuleuse, farineuse, collante, pâteuse ou homogène ? Autant de mots différents qui décrivent avec précision des sensations différentes.

Mon travail de chocologue pendant les ateliers d’initiation à la dégustation consiste donc à donner un maximum d’informations sur le cacao : tout ce qui se passe en amont participe à la construction de son goût et au chocolat qu’il deviendra. Il est donc important de comprendre tous les facteurs qui vont influencer ce goût, avec par exemple la torréfaction (une étape cruciale dans la fabrication du chocolat au cours de laquelle il s’agit de révéler mais aussi de respecter le potentiel aromatique des fèves), le conchage, le moulage des tablettes… En donnant cet éclairage sur la partie fabrication, j’aide à mieux apprécier le produit, en décrire les caractéristiques, y déceler peut-être des défauts…

Chaque maison a ses spécificités ; un expert peut reconnaître à l’aveugle s’il s’agit d’un chocolat de Bonnat, Pralus, Valrhona ou Belcolade. Chaque personne qui participe à l’élaboration d’un chocolat va avoir une incidence et apporter une signature. Que ce soit celui qui récolte, celui qui fermente, l’autre qui torréfie et qui fabrique, chacun laisse son empreinte dans une tablette de chocolat. C’est fascinant de voir que chaque chocolat est unique. On pourra donner le même lot de fèves à deux chocolatiers, on aura deux tablettes différentes. C’est ce qui me passionne dans le chocolat : cette construction du goût, la diversité des arômes, comme dans le vin. Le métier de chocologue va donc consister à proposer un moment de partage avec une initiation à la chocologie, une expertise de la dégustation. Le bonheur de mon métier, c’est de pouvoir partager tout ça.

◆ D’où vous vient cette expertise ? ◆

Elle a été façonnée avec le temps. Je l’ai construite et enrichie ces 15 dernières années par mes voyages et mes rencontres. J’ai commencé par déguster le chocolat comme tout un chacun puis j’ai évolué au contact des professionnels que j’ai rencontrés.

Quand j’ai terminé mes études de psychologie en 2006, j’ai fait ma thèse sur l’expertise. C’est un sujet de la psychologie cognitive qui aborde la façon dont le cerveau traite les informations, la mémoire, pour acquérir une compétence et une expertise ; tout ce qui fait de l’homme un être civilisé. Je me suis donc amusée pour cette thèse à traiter de l’expertise en chocolat, interrogeant une trentaine de chocolatiers ou dégustateurs et une trentaine de novices. J’ai pu observer qu’il y avait deux grandes différences entre les deux groupes.

Premièrement, pour déguster, les experts utilisent leur 5 sens de manière méthodique, avec une vue d’ensemble du produit et non du seul résultat pour les novices. Les 30 experts interrogés séparément avaient tous la même méthode. Deuxièmement, ces experts avaient tous un vocabulaire élaboré, technique, large et précis quand les novices restaient assez vagues. Quand un expert va estimer qu’un chocolat est brûlé, un novice dira qu’il est amer. Je me suis émerveillée qu’on soit autant à aimer le chocolat et si peu à savoir le déguster. Du coup, j’ai voulu mettre en lumière cette méthode que j’ai développée et que je transmets aujourd’hui dans mes ateliers.

◆ Quelle est votre relation au chocolat ? ◆

En plus de mes ateliers de chocologie, j’ai ma propre marque de chocolats, Les Carrés Victoire. Depuis plus de 10 ans, je crée des recettes avec un chocolatier dans le Berry, Daniel Mercier pour imaginer les ganaches et les pralinés de ma collection de nuanciers. J’adore ce travail de création gourmande. Je développe également des recettes sur mesure pour des marques comme Clarins ou Guerlain, créant des ganaches à l’iris, à la fleur d’oranger, au jasmin, à la bergamote ou en partant de fragrances de parfums. Ce sont des commandes ponctuelles en fonction d’un thème, que je réalise en marque blanche.

Mon métier de chocologue comporte aussi une activité de consultante. Je suis amenée à faire de la formation professionnelle, en travaillant notamment pour la Chambre des métiers et de l’artisanat, pour le CCIP (la Chambre de Commerce et d’Industrie de région Paris – Île-de-France – ndlr), pour des artisans chocolatiers, confiseurs. Je forme des professionnels qui ont envie de comprendre leur produit, de comparer leur travail, en les aidant à faire de l’analyse sensorielle, à verbaliser, écrire des profils, à se positionner, travailler sur le sourcing.

J’ai aussi développé un cabinet de tendances. Cela fait 15 ans que j’observe, que je goûte, que je rencontre les différents acteurs et amateurs. Je me rends donc compte des tendances, de ce qu’aiment les consommateurs, ce qu’ils attendent, espèrent. J’anime des ateliers de dégustation à raison de deux par semaine minimum, voire deux par jour en périodes de fêtes. Je démarre à chaque fois par un tour de table pour identifier les goûts, les habitudes de consommation de chacun. Je nourris ainsi depuis mes débuts une étude de marché qui me permet de voir vraiment quelle est l’évolution des goûts, l’évolution des connaissances chez le consommateur ; ce qui me permet d’aider les marques à innover, imaginer le chocolat de demain.

◆ Quelle est donc la tendance actuelle ? ◆

Le praliné a un succès incroyable parce les amateurs de chocolat adorent quand ça croustille, quand il y a de la texture et de la mâche. Dès qu’il y a du bruit avec de la consistance sur le palais avec du praliné, du riz soufflé, du feuilleté, ça crée une émotion et une gourmandise au goût de « j’y reviens ». En termes de goût, les Français sont curieux et amateurs de découvertes.

Le chocolat est devenu un support pour faire découvrir de nouvelles saveurs : poivre Timut ou du Sichuan, notes florales ou d’agrumes. Il y a eu le succès des saveurs japonaises avec le yuzu, le thé vert, le soja et le sésame grillés… Les gens aiment beaucoup découvrir des curiosités à travers le chocolat. Il suffit de voir en magasin comment le rayon Chocolat s’est largement transformé en 10 ans, passant d’une simple étagère à dix mètres de références en tous genres. Et puis, il y a cette tendance forte d’un chocolat « bien-être », bon et sain.

Outre l’aspect vegan qui est inhérent au chocolat noir, il y a une volonté de limiter sa consommation de sucre. Toutefois, le temps où l’on mangeait du chocolat à 80% voire 100% est révolu, parce qu’on s’est rendu compte qu’avec ses teneurs très fortes en cacao, on passe à côté de la mélodie aromatique du chocolat, essentiellement portée par le sucre. Les amateurs sont vraiment aujourd’hui à la recherche du goût, revenant à des chocolats en 60 et 75% de cacao, plus sensibles à la qualité des fèves, à leur traçabilité et au type de sucre utilisé (sucre de canne ou complet).

Il s’agit vraiment de redonner tous ses arômes au chocolat : un effort accompagné par les bean-to-bar, dont le travail de chimiste du goût consiste à sélectionner les meilleures fèves et d’en révéler tout le potentiel aromatique. Quand on voit le travail d’Encuentro, Plaq ou Chapon qui avec leur torréfaction douce révèlent des profils aromatiques tellement différents, c’est fascinant. Tellement intéressant.

◆ Pourquoi selon vous,
les Français sont-ils les plus grands consommateurs de chocolat noir ? ◆

Nous avons cette chance en France d’avoir un tel amour pour la gastronomie, une telle culture du goût avec une incroyable variété de plats, de textures, de produits. En voyageant, je me suis rendu compte de cette richesse aromatique dans notre cuisine. Nous avons un goût très exigeant et beaucoup plus développé, grâce à cette complexité. Nous sommes le pays de l’excellence gastronomique, avec les meilleures écoles au monde. Les chefs du monde entiers viennent y être formés. C’est pourquoi je pense nous apprécions particulièrement l’excellence du chocolat noir.

◆ À votre avis, quel sera le chocolat de demain ? ◆

Ça dépendra chez quel acteur il est proposé : chocolatier, pâtissier, confiseur…Je pense quoi qu’il en soit que le chocolat de demain sera un chocolat responsable. Un artisan comme un entrepreneur ne peut pas se lancer aujourd’hui sans proposer un emballage recyclable, la traçabilité des ingrédients, un positionnement équitable envers les producteurs. Il y a un tel besoin de transparence et de responsabilité. Chacun à son niveau, les industriels comme les petits artisans, est amené à proposer un chocolat plus responsable et plus écologique.

◆ Comment devient-on chocologue ? ◆

Je serais ravie d’avoir plein de chocologues autour de moi et j’invite toute personne séduite par le métier à se lancer, mais il n’y a actuellement pas d’autre formation que l’expérience auprès des professionnels du chocolat et le temps d’éduquer ses sens ! L’apprentissage se fait par les rencontres (aller voir le travail des chocolatiers, c’est primordial), le partage, la professionnalisation de la dégustation. D’ailleurs, je ne déguste jamais seule. Je suis toujours accompagnée de mes collègues, ma famille, des professionnels… C’est en dégustant avec quelqu’un que ça devient intéressant, en partageant des mots, des sensations. C’est comme ça que j’ai appris. Les sens, ça se stimule comme un muscle. Je déguste tous les jours la gastronomie de manière générale, pour toujours apprendre. L’expertise c’est sans fin ; c’est un parcours plus qu’une finalité.

Les chocolatiers sont des artistes et il y a forcément beaucoup d’eux-mêmes dans leurs créations. En allant à leur rencontre pour appréhender leur personnalité, comprendre leur façon de travailler, vous comprendrez mieux leur produit.  Vous l’aimerez d’autant plus et saurez le raconter à votre tour.

2024-04-02T11:52:03+02:00 22 décembre 2020|Profession chocolat|